Même lorsqu’ils touchent des organes distants, les cancers impactent sérieusement la fonction hépatique, souligne cette étude de la Weill Cornell Medicine (New York), l’une des rares à souligner cet effet. Ces travaux, publiés dans la revue Nature, décryptent comment des vésicules et particules extracellulaires (EVP), dérivées de cellules tumorales entraînent l’accumulation de gouttelettes lipidiques dans le foie, ce qui favorise son inflammation.
Les cancers libèrent des molécules dans la circulation sanguine, ces mêmes particules sont exploitées comme des marqueurs sanguins de détection. Mais ces EVP altèrent aussi, et de manière pathologique le foie, le faisant passer à l'état inflammatoire, ce qui favorise l’accumulation de graisse et altère sa fonction normale de détoxification. Le décryptage de ce processus insidieux du cancer, suggère aussi la possibilité de nouveaux tests et médicaments pour détecter et inverser ce processus.
Du cancer distant à l’état de stéatose hépatique
L’équipe s’est spécialisée sur les effets systémiques des cancers. Ces effets correspondent à des stratégies spécifiques déployées par les tumeurs pour assurer leur survie et prospérer. En 2015, l'équipe avait ainsi découvert que les cancers du pancréas sécrètent des molécules encapsulées dans des vésicules extracellulaires, qui voyagent ensuite dans la circulation sanguine, sont absorbées par le foie et préparent l'organe à soutenir la croissance de nouvelles tumeurs métastatiques.
L’étude identifie en effet qu'une grande variété de tumeurs qui se développent à l'extérieur et à distance du foie reprogramment à distance le foie dans cet état comparable à la stéatose hépatique via la sécrétion et l’action de ces EVP qui contiennent des acides gras. La nouvelle étude complète de précédents travaux ayant identifié un ensemble de changements hépatiques causés par des cellules cancéreuses distantes, observés dans des modèles animaux de cancer métastatique des os, de la peau et du sein. La principale découverte est que ces tumeurs induisent une accumulation de molécules de graisse dans les cellules hépatiques,
ce qui « reprogramme » le foie comme il le serait dans l'état d’obésité ou d’exposition excessive à l’alcool, ou, en somme, de stéatose hépatique.
La démonstration est ici faite sur des modèles animaux de cancer mais aussi dans le foie de patients cancéreux humains. Les analyses montrent que les tumeurs peuvent entraîner des complications systémiques importantes, notamment des maladies hépatiques, mais suggèrent également que ces complications pourraient être inversées par des traitements, explique l’un des auteurs principaux de l’étude, le Dr David Lyden, professeur de cardiologie, de pédiatrie et de biologie cellulaire au Weill Cornell Medicine. L'équipe observe, qu’en cas de cancer,
- le foie présente des niveaux élevés d'inflammation, illustrés par niveau élevé de facteur de nécrose tumorale-α (TNF-α) et de faibles niveaux d'enzymes permettant de métaboliser les médicaments pouvant décomposer les molécules potentiellement toxiques ;
- ces faibles niveaux de ces enzymes nécessaires à l’efficacité thérapeutique, contribuent aussi à expliquer pourquoi les patients cancéreux deviennent souvent moins tolérants à la chimiothérapie avec la progression de leur maladie.
Les EVP en cause dans ce processus pathologique : les chercheurs retracent ce processus de reprogrammation hépatique jusqu’à ces vésicules et particules extracellulaires (EVP) libérées par les tumeurs distantes et qui transportent des acides gras, dont l'acide palmitique. La cargaison d'acides gras une fois absorbée par les cellules immunitaires déclenche la production de TNF-α, ce qui entraîne le développement d’un foie gras ou stéatose.
- Ces changements observés à l’identique dans le foie de patients atteints d'un cancer du pancréas illustrent les stratégies développées par les cancers pour manipuler la fonction hépatique, explique l’un des auteurs principaux, le Dr Gang Wang.
- Les scientifiques font en effet l’hypothèse que la stéatose hépatique profite en partie aux cancers en transformant le foie en une source d'énergie à base de lipides pour alimenter la croissance tumorale : « nous observons dans les cellules hépatiques non seulement une accumulation anormale de graisse, mais aussi un dysfonctionnement du traitement normal des lipides, de sorte que les lipides qui sont produits sont prioritairement utiles au cancer », ajoute un autre auteur, le Dr Robert Schwartz, professeur agrégé de gastroentérologie et d'hépatologie au Weill Cornell.
- Deuxième effet, sur la production de molécules cruciales impliquées dans la fonction immunitaire, altérée dans ces foies gras, ce qui affaiblit également l'immunité antitumorale.
Un espoir, il est possible d’atténuer ces effets systémiques des tumeurs sur le foie à l'aide de stratégies telles que le blocage de la libération des EVPs, l'inhibition de l'acide palmitique des EVPs, la suppression de l'activité du TNF-α …
Des essais devront tester la mise en œuvre de ces thérapies chez des patients humains, vérifier qu'elles bloquent ces effets à distance sur le foie et exploiter ces EVP tumorales circulant dans le sang comme marqueur possible de cancer avancé.
Source: Nature 24 May, 2023 DOI: 10.1038/s41586-023-06114-4 Tumour extracellular vesicles and particles induce liver metabolic dysfunction