Pratiquée depuis peu de temps en France dans le traitement des infections récidivantes de l’intestin à Clostridium Difficile chez des patients immunodéprimés, la greffe de microbiote fécale conserve ses zones d’ombre et doit encore préciser ses limites cliniques. Pour preuve, cette étude newyorkaise qui révèle ses effets sur le cerveau. Les conclusions, présentées dans la revue eLife, suggèrent que certaines combinaisons de bactéries intestinales produisent des substances qui affectent le contenu de la myéline et peuvent provoquer des troubles du comportement. Dans l’autre sens, cette nouvelle compréhension de la communication microbiote /cerveau laisse également espérer de nouveaux traitements possibles pour les maladies de la myéline, comme la sclérose en plaques notamment.
Le microbiote intestinal, ou flore intestinale, est l'ensemble des micro-organismes qui se trouvent dans le tube digestif. Il est doté de gènes et d'un métabolisme propre, dont il est nécessaire de comprendre le rôle car il participe à une bonne qualité de vie de chaque individu. Son premier rôle est métabolique : il dégrade les substrats non digérés par l'intestin grêle. La dégradation de ces composés (glucides et protéines contenus dans les fibres alimentaires) génère la production de nombreux métabolites. De multiples travaux scientifiques ont montré l'importance du microbiote sur le développement et la maturation de notre système immunitaire. Il constitue une barrière naturelle aux bactéries diverses qui nous entourent. Cependant, le microbiote intestinal influence aussi notre système nerveux central. De nombreux neurotransmetteurs, agissant sur notre humeur, sont produits par les bactéries de notre tube digestif et sont des pistes de recherche pour expliquer l'action du microbiote intestinal sur notre cerveau. Les bénéfices de la transplantation du microbiote fécal qui consiste en l'introduction, souvent par coloscopie ou lavement, des selles d'un donneur sain dans le tube digestif d'un receveur souffrant d'une infection intestinale avec la bactérie Clostridium difficile, ont déjà été documentés par plusieurs études. La pratique est déjà courante dans certains pays, et ce traitement permet la récupération complète de la fonction intestinale chez 90% des patients. Cette étude montre justement que des combinaisons spécifiques de bactéries intestinales peuvent produire des substances qui peuvent à leur tour affecter la myéline et provoquer des comportements d'évitement sociaux. Ici, chez la souris.
Ici, les chercheurs de la Mount Sinai School of Medicine ont transféré des bactéries fécales issues de l'intestin de souris au comportement déprimé, à des souris génétiquement distinctes présentant un comportement normal. L'expérience montre que le transfert de microbiote fécal était suffisant pour induire des comportements de retrait social et modifier l'expression des gènes et la composition de la myéline dans le cerveau des souris receveuses. Or la myéline, la gaine isolante autour des axones des cellules nerveuses est critique pour le fonctionnement du cerveau. Une myéline endommagée entraîne une transmission synaptique altérée et de multiples symptômes cliniques.
Un espoir pour le traitement de la sclérose en plaques (SEP) : Ainsi, des combinaisons spécifiques de bactéries intestinales suffisent à produire des substances qui affectent la composition de la myéline et à provoquer des troubles du comportements. Des résultats qui suggèrent, a contrario, que cibler certaines communautés bactériennes intestinales, ou leurs métabolites, pourrait être une façon de traiter certains troubles psychiatriques voire certaines maladies de la myéline, comme la sclérose en plaques. « Nos résultats vont contribuer à la compréhension du rôle du microbiote dans la modulation de la sclérose en plaques », explique l'auteur principal, le Dr Casaccia. « L'étude fournit une preuve de principe de la capacité de certains métabolites de l'intestin d'influer sur le contenu de la myéline, indépendamment du profil génétique de la souris ».
Une nouvelle compréhension du mécanisme de communication cerveau-intestin : les chercheurs ont également identifié les communautés bactériennes associées à des niveaux accrus de crésol, une substance qui a la capacité de traverser la barrière hémato-encéphalique. Or des cellules précurseurs de la myéline, cultivées et exposée au crésol, perdent leur capacité à former la myéline, ce qui suggère que ce métabolite de l'intestin impacte la formation de myéline dans le cerveau.
Des conclusions donc primordiales, à la fois sur les limites de la transplantation du microbiote fécal, sur les effets du microbiote sur le cerveau et la myéline et sur l'espoir de nouveaux traitements possibles, via des probiotiques par exemple, pour les maladies démyélinisantes.
2016 DOI: 10.7554/eLife.13442 Microbiota-driven transcriptional changes in prefrontal cortex override genetic differences in social behavior
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